D002857-R1-00-1.jpg

Chroniques ouvrières du Bassin Creillois


Dans l’entrepôt tentaculaire, le petit atelier familial, la fabrique ancestrale ou l’exploitation flambant neuve, les savoirs-faire sont différents mais les humains se ressemblent. La série issue de ce temps de création dans le grand bassin industriel creillois navigue de gestes répétés en visages lucides. Toutes et tous ont une histoire à raconter, posent un regard digne et constant sur ce qui les occupe. Malgré la relative beauté que l’on peut observer dans les rouages d’une machine, ce sont bien de leur courage et de leurs rêves d’ailleurs dont il est question dans ces images. Ce travail leur est dédié.


“ L’entreprise innove et cherche naturellement à se renouveler, elle se doit de porter un regard inventif sur le monde afin de résister à la concurrence mondialisée. L’artiste perçoit lui aussi le monde à sa manière et invente de nouvelles formes qu’il utilise pour nous proposer sa perception de notre environnement. Faire se rencontrer la jeunesse de la création et le monde de l’entreprise, c’est créer des ponts entre des univers qui ne dialoguent pas forcément. Le principe de cette résidence artistique est de permettre à un jeune photographe de rentrer en immersion dans une entreprise et de porter un regard personnel sur le monde du travail et sur l’environnement de celle-ci.”

Extrait du dossier de presse de Usimages 2021
Carte blanche en entreprises, exposition du 17 avril au 20 juin 2021, Creil
Avec le soutien de Diaphane et de l’Agglomération Creil Sud Oise

“À l'occasion d'Usimages, biennale de la photographie du patrimoine industriel, nous vous proposons de découvrir plus en détail certaines des photographies exposées. Morgane Delfosse présente l'une des photographies réalisées lors de sa résidence dans quatre entreprises du bassin Creillois.” — Diaphane, pôle photographique des Hauts-de-France

"On the occasion of Usimages, the biennial event for industrial heritage photography, we invite you to take a closer look at some of the photographs on display. Morgane Delfosse presents one of the photographs taken during her residency in four companies in the Creillois basin.” — Diaphane, photographic centre of Hauts-de-France

 

Stokomani, Creil

Kris, dit Papy, travaille depuis sept ans dans les entrepôts de la société. À 64 ans, il est l’un des doyens de l’entreprise. Il raconte un souvenir de l’île Maurice d’où il est originaire, à des milliers de kilomètres des piles de cartons qui l’entourent aujourd’hui ; avant de quitter l’océan Indien il y a quelques années, Kris naviguait dans un bateau à fond de verre chargé de touristes en quête de récifs coralliens. L’évocation de cette vie passée fait briller les yeux de ses collègues. Lui ne semble rien regretter.

 
 

La première plateforme logistique historique rattachée au siège social de Stokomani est implantée dans le parc Alata, qui se définit comme une « clairière d’entreprises » en lisière de la forêt d’Halatte.

 

Aujourd’hui à la retraite, Brigitte travaille depuis l’âge de 16 ans dans la région, d’abord comme fileuse puis comme barmaid pendant une trentaine d’années. « Tant que la santé est là... », elle continue en intérim à l’entrepôt pour boucler ses fins de mois.

 
 
 

Vanessa rejoint la firme sous contrat à durée déterminée en décembre dernier. Après une décennie de mise en rayon en magasin, notamment pour le compte d’une enseigne qui renouvelle ses contrats précaires quatre années durant avant une faillite fracassante, elle espère signer bientôt un CDI, trouver une certaine stabilité.

Verdin marche lentement dans le dédale des allées de l’entrepôt. Discret et silencieux, il n’est ici que depuis quatre semaines, et espère voir ses contrats d’intérimaires devenir plus durables.

 
 

Stokomani est une entreprise de déstockage de grandes marques. Son système est louable mais génère également un très grand nombre de déchets, dont ce film plastique servant à entourer les commandes.

 
 

Laurene a près de dix ans d’ancienneté dans l’entreprise. Après de courtes études et une expérience en boulangerie, elle tombe enceinte. Aujourd’hui mère de deux enfants, et avec un compagnon qui travaille en rotation d’équipe toutes les huit heures, les horaires de l’entrepôt sont pratiques et confortables. Pourtant, à 29 ans, elle aspire parfois à autre chose. Laurene raconte sa passion pour les travaux minutieux. Elle a entièrement réalisé la décoration de son mariage en 2019. Reprendre une formation, apprendre un métier plus délicat, ça lui irait bien.

 
 

 

Cartonnages Bazin, Villers-Saint-Paul

 
 

Cartonnages Bazin existe depuis 1962. Après plus de cinquante ans aux mains du fondateur, la structure est reprise par Alexandre, un ingénieur passionné quittant sans regret les firmes internationales pour devenir patron de proximité. Portée par cet élan, la petite équipe conçoit, crée des prototypes, découpe, colle et assemble des emballages en carton en petites séries sur des machines ronronnantes.

 
 

Expert de la « platine à la volée », Jacques déploie ses bras, souples et rapides, tel un danseur ou un oiseau d’envergure. Ce sont justement des cartons de protections pour les escaliers des avions Falcon qu’il fabrique aujourd’hui.

 
 
 

À l’image des ateliers de l’entreprise, le grenier regorge de morceaux de cartons en tout genre et d’archives. On y range aussi des plaques de fabrication calibrées aux mesures de différents prototypes.

Armand étudie à Compiègne pour devenir ingénieur informatique. Bien qu’éloignées de son futur métier, ces quelques semaines de stage « ouvrier » sont formatrices. Consciencieux, il décortique ici les cartonnettes préparées le matin même. Cela consiste à en ôter les pièces pré- découpées inutiles, alors mises à recycler.

 
 

Fin de journée pour Murielle. Accoudée à l’énorme machine qui constitue son poste de travail du moment, elle consulte son téléphone. Pour sa dernière commande, Murielle a collé à froid 2992 pièces, dans une succession de gestes précis et répétitifs.

 

Murielle pose avec fierté au centre de l’atelier. Pendant 30 ans, elle s’occupe de ses cinq enfants. Après avoir essuyer quelques drames ces dernières années, elle doit trouver du travail. Cartonnages Bazin lui offre un stage. Murielle se forme sur le tas et signe finalement un contrat pour la première fois de sa vie. Aujourd’hui, elle n’échangerait sa place pour rien au monde.

 
 
 

Les ateliers de Cartonnages Bazin constituent un véritable petit musée des machines. Parmi elles, les massicots servent à couper papiers et cartons à angle droit. Ici, on emploie notamment un Massicot Flandres 1350 datant des années 80. C’est un monstre de fonte redoutable, doté d’un laser à détection de mouvement pour éviter les accidents.

 

Clouterie Rivierre, Creil

Entreprise du Patrimoine Vivant, la Clouterie Rivierre semble figée dans le temps. Ses métiers à clous forgés uniques au monde y frappent des fils métalliques depuis 1888. C’est aujourd’hui la dernière entreprise du genre en activité en France. Les savoir-faire traditionnels, peu adaptés aux normes modernes, impliquent des conditions de travail particulièrement rudes. Charme de l’ancien et vétusté se côtoient aux quatre coins de l’immense usine.

 
 

Kévin, jeune ouvrier, déverse des clous dans le four à bleuir. En chauffant, le fer s’oxyde et forme de la magnétite. Celle-ci se dépose en fine couche de couleur pétrole sur l’acier et le protège de la rouille. La tâche est difficile, et Kévin porte un casque pour se protéger de la clameur entêtante des machines.

Kévin, a young worker, pours nails into the blueing furnace. When heated, the iron oxidises and forms magnetite. This deposits a thin petroleum-coloured layer on the steel and protects it from rusting. The task is difficult, and Kévin wears a helmet to protect himself from the noisy clamour of the machines.

 

Raymond soulève non sans mal des bacs remplis de clous, pesant plus de trente kilos chacun. Il verse leur contenu dans un dernier mécanisme pour en nettoyer les restes de scuire de bois. Cette dernière sert à dégraisser les clous après leur passage dans des métiers quotidiennement huilés.

 
 
 

Derrière une porte au fond de la salle des machines, le grand atelier parait silencieux. Plus d’un siècle d’outillages, d’établis et d’objets y sont accumulés. Ils répondent au besoin constant de réparation que réclament les mécanismes anciens et les locaux par endroits délabrés de l’usine.

À l’usine, le charbon sert à faire tourner les fours, mais aussi à réchauffer les ouvrier·es grâce aux poêles en fonte disséminés dans les allées.

 
 

Anthony et Lahcen ajustent à quatre mains le cœur d’un métier à clous géant. Ici, les ouvriers assurent l’outillage des machines, tant pour remplacer des éléments usagés que pour créer de nouvelles formes.

 
 

Dans un mélange d’huile à graisser les machines et de pluie perçant les vieux toits de tôle, partout brillent les surfaces et les objets.

 
 

 

Lib Ferroviaire, Montataire

Il y a quelques mois, Lib Ferroviaire s‘installe dans ce petit désert qu’est devenu le site industriel de Montataire. Mehdi y contrôle des traverses en béton avant de les ranger pour une prochaine livraison à la SNCF, client unique de l’entreprise. Intérimaire depuis 3 semaines, il vit à deux pas d’ici et reste discret sur ce qui l’anime. À 25 ans, Mehdi veut travailler et n’aspire qu’à un peu de confort matériel.

 
 
 

Cette imposante machine à couler le béton est la clé de voûte de la jeune chaine de production. Elle déverse la préparation minérale dans des moules minutieusement calibrés pour répondre au cahier des charges. Les traverses en béton ainsi produites sont des éléments fondamentaux des voies ferrées. D’une durée de vie plus importante et moins coûteuses que les traverses en bois, elles les remplacent peu à peu dans le paysage ferroviaire français.

 

Dans la plaine qui entoure la nouvelle structure, les éléments qui composent le béton sont entreposés à ciel ouvert avant d’être mélanger dans une benne gigantesque.

 
 

Lyann a 18 ans. Bien que satisfait de commencer à gagner sa vie, il hésite à poursuivre des études pour devenir entrepreneur et prétendre un jour à un meilleur salaire. Fou de basket et plein d’ambition, il rêve de diriger un jour une grande entreprise dans le secteur sportif.

 

Depuis peu, des travailleurs roumains viennent renforcer les effectifs. Ils ne parlent pas français et travaillent d’arrache-pied. Ici, Adi manipule le tableau de contrôle de la couleuse à béton.

 

Lib Ferroviaire s’implante sur un site au lourd passé industriel, dont les prémices remontent à la fin du 18e siècle. Après des années de lutte, les anciens bâtiments d’ArcelorMittal y ont été démolis il y a quelques mois à peine, laissant derrière eux un territoire sinistré.

 
 

Cariste depuis quelques semaines, Warren roule à toute vitesse à l’extérieur du bâtiment au volant de son chariot élévateur, empile des traverses ou transporte des gravats avec une chargeuse-pelleteuse. Il s’arrête un instant, pour un dernier portrait.

 
 

 

Précédent
Précédent

La vie des gens, 2022

Suivant
Suivant

Réparer, 2019